21 août 2019
Insertion et emploi

Quelles politiques publiques pour soutenir la transition agroécologique ?

Actualité

Cette publication est réalisée par la commission Agriculture et alimentation (C2A) de Coordination SUD. Elle a été publiée dans le n° 19 des notes de Coordination Sud. 

Promouvoir et soutenir l’agroécologie paysanne implique une mise en cohérence des politiques publiques. Il n’est pas possible de soutenir parallèlement des modèles qui lui nuisent. L’agroécologie est un modèle qui s’inscrit dans son territoire et se construit en fonction de l’environnement et des savoirs des populations. Cette dépendance au milieu appelle à une réflexion holistique.

Les systèmes agro-industriels ont atteint leurs limites. Ils représentent à eux-seuls un tiers des émissions de gaz à effet de serre et entraînent des dégradations environnementales importantes (pollution des eaux, des sols, effondrement de la biodiversité), des conséquences sanitaires graves. Y compris un désastre social provoquant la marginalisation de franges entières de la population. Ils échouent surtout à nourrir correctement l’humanité, puisque 821 millions de personnes souffrent encore de la faim dans le monde en 2017, une réalité dramatique de nouveau en hausse. L’obésité continue de croître pour concerner en 2016 13,2 % des adultes dans le monde2. Devant l’échec de ce modèle, la transition agroécologique permettrait de répondre à ces différentes limites en proposant une refonte des systèmes alimentaires vers un modèle soutenable et permettant de nourrir les populations.
Ce constat est de plus en plus partagé, au sein des territoires (par les organisations paysannes notamment), dans les politiques de certains gouvernements et émerge dans les instances internationales telles que la FAO. Coordination SUD propose un ensemble de recommandations permettant de soutenir la transition agroécologique. S’il n’y a pas de solution unique, les recommandations ci-dessous esquissent différentes approches, souvent complémentaires, qui peuvent répondre aux enjeux clefs de la transition agroécologique et qui devront être adaptées aux contextes nationaux et territoriaux.

1. Orienter les financements vers la transition agroécologique et l’agroécologie paysanne

Transformer les systèmes alimentaires implique d’engager un changement de modèle. Les financements publics et privés alloués à l’agriculture doivent être réorientés vers l’appui à l’agroécologie paysanne. Les politiques publiques doivent favoriser l’acquisition d’autres moyens de production comme le matériel agricole, les engrais organiques, qui sont des leviers importants pour la transition agroécologique. Par ailleurs, les subventions aux
pesticides faussent les prix et n’incitent pas à la transition.

2. Transformer la gouvernance

Le développement de l’agroécologie est éminemment lié à une transformation politique et démocratique, notamment au niveau local. La transition agroécologique est indissociable du respect des droits, du renforcement du pouvoir d’agir et de la valorisation des savoirs des populations.

Promouvoir l’approche par les droits
L’accès à l’eau, à la terre et aux semences constituent un prérequis incontournable à l’agroécologie. Ils sont indispensables à la réalisation du droit à l’alimentation et doivent être régis selon une approche par les droits. Les semences paysannes doivent pouvoir circuler librement entre les paysan·ne·s, sans être privatisées ni brevetées. L’ agroécologie s’appuie sur le maintien et le développement de la diversité et pour cela, les semences doivent être exclues des accords commerciaux. L’échange et le partage des semences doivent être favorisés par les banques de semences et les foires aux semences.
Reconnaître le droit à la terre est également nécessaire. Cela peut passer par des approches différentes selon les contextes législatifs nationaux, les droits coutumiers locaux, les réformes agraires passées et à venir. L’obtention de titres sur la terre et la sécurisation foncière, sans discrimination de genre, sont nécessaires pour améliorer durablement la terre et obtenir une production en quantité et en qualité suffisantes. Si le droit à la terre est un prérequis au développement de l’agroécologie, sa traduction en termes de politiques publiques peut impliquer des réformes agraires redistributrices. La clarification des titres de propriété privée de conception occidentale est une solution possible, mais un certain nombre de points d’attention doivent être pris en compte. Ce cadre dominant actuel permet certes de clarifier les droits individuels – ou, plus rarement, collectifs – sur le foncier mais cette approche promeut également les investissements : celles et ceux qui ont les moyens achètent, celles et ceux qui manquent de fonds
vendent. Il est souvent préférable de regarder du côté des pratiques et des systèmes coutumiers et collectifs, dont certaines catégories permettent des lots indivisibles ou incessibles, sans avoir besoin d’entrer dans des dynamiques de marché. Il faut néanmoins tenir compte des discriminations que certains groupes, dont les femmes, pourraient subir au sein de ces systèmes et y remédier. La Déclaration des droits des paysans et des paysannes,
adoptée par les Nations unies en décembre 2018 reconnaît les droits à la terre, aux semences, à l’eau et à la souveraineté alimentaire. Il s’agit d’une reconnaissance indispensable. En effet, la transition agroécologique ne pourra être portée que par les paysan·ne·s. Enfin, les États doivent soutenir le Comité sur la sécurité alimentaire mondiale des Nations unies comme plateforme inclusive et légitime de gouvernance qui promeut l’approche par les droits.

Renforcer le pouvoir d’agir des communautés locales pour la gestion des « communs ».
De plus en plus de réflexions se développent autour de la gouvernance des « communs », au sein de la recherche, mais aussi dans des institutions de développement comme l’Agence française de développement. Il s’agit de changer de paradigme de base pour penser, non plus en termes de propriétaires, mais en termes de décisions et de gestion. Le foncier notamment pose des questions de gouvernance fortes qui vont de pair avec les processus participatifs,
indissociables de l’agroécologie. En augmentant le pouvoir d’agir des paysan·ne·s, en structurant les espaces de dialogue, d’échanges et de participation, l’agroécologie permet une transformation des relations de pouvoir et offre de nouvelles structures de pouvoir, décentralisées et localement adaptées. Pour cela, il devient central de reconnaître le droit à la consultation et au consentement préalable, libre et éclairé, pour tous les habitants d’un territoire et de l’étendre au-delà des seuls peuples autochtones.

3. Territorialiser les systèmes alimentaires
Une mise à l’échelle de l’agroécologie n’est possible que si les producteurs peuvent écouler leurs productions sur les marchés locaux, dans des circuits courts. Nombre de leviers pour développer l’agroécologie sont à activer au niveau territorial sans pour autant délaisser la création d’un appareil
législatif et administratif national favorable à ces initiatives. Soutenir des initiatives locales de développement économique. Un soutien à la mise en réseau, à la formation d’organisations paysannes, de coopératives ou d’autres structures collectives est essentiel. Cela permet de garantir une rémunération juste, ainsi que la gestion directe par les paysan·ne·s de leurs productions et débouchés. Le développement d’infrastructures de stockage, de transport et de transformation au niveau local permet également de renforcer les marchés et d’améliorer la souveraineté alimentaire au niveau des territoires.

Privilégier les circuits courts et le commerce équitable
Il est nécessaire de renforcer la commercialisation des produits sur les marchés locaux, en favorisant la mise en relation des paysan·ne·s avec les consommateur·rice·s et un écoulement des productions. Cela permet d’éliminer le besoin d’intermédiaires et contribue à la sécurité alimentaire
et nutritionnelle locale, tout en limitant les produits importés. Un travail important de sensibilisation des organisations paysannes ainsi que de la population pour privilégier la production et la consommation locales doit également être fait, ce qui a aussi pour effet de renforcer la cohésion
du territoire. Le développement d’achats publics auprès de petit·e·s paysan·ne·s produisant selon les principes agroécologiques peut contribuer à son développement. Au Brésil, le programme Faim Zéro a permis le déploiement d’un système permettant notamment aux écoles de s’approvisionner auprès d’agriculteur·rice·s familiaux, en bonifiant les produits de 30 % s’ils venaient de l’agroécologie5. On retrouve ici le lien évident entre l’agroécologie et la sécurité alimentaire, à condition que les producteur·rice·s ne perdent pas leur souveraineté alimentaire, dans les cas où l’État passerait commande en imposant le type de cultures. Par ailleurs, la valorisation des produits agroécologiques doit aussi s’accompagner de la mise en relations d’organisations paysannes sur des marchés de qualité, grâce aux filières de produits biologiques, diversifiés et équitables.
Ces filières ont la particularité de proposer à la fois des prix plus rémunérateurs mais aussi de renforcer le poids des organisations paysannes dans les filières concernées.
Protéger les réseaux paysans face à la concurrence du
commerce international

La mise à l’échelle de l’agroécologie implique un environnement économique favorable, tout comme de limiter la concurrence de produits importés à faibles coûts (car subventionnés et bénéficiant de droits de douane très faibles) qui déstabilisent les marchés locaux. Cela implique, aux niveaux international et national, de refonder les politiques commerciales internationales en garantissant le respect de la souveraineté des pays en développement dans la conception et la mise en oeuvre des accords commerciaux et en portant une attention particulière à la souveraineté alimentaire. Il s’agit aussi d’assurer la participation des organisations paysannes à leur conception, mise en oeuvre et suivi. Au Sénégal par exemple, depuis que le gouvernement a gelé les importations de certains aliments (volaille,oignons, pommes de terre et riz) la production nationale s’est considérablement accrue6.
Adopter une approche holistique et territoriale
La nécessaire démarche holistique de la transition agroécologique implique aussi des mesures politiques qui touchent d’autres secteurs au niveau local. Les politiques publiques qui favorisent le déploiement de l’agroécologie sont des politiques qui ne prennent pas seulement en compte les aspects de soutien à une pratique ou un système agricole, mais qui favorisent le développement et la vie digne sur le territoire. Cela doit s’inscrire sur plusieurs
approches, y compris l’éducation, la création d’opportunités économiques sur le territoire, le respect et la promotion des variétés culturales, espèces animales et semences locales, les impacts environnementaux (dont la biodiversité) au niveau du territoire et enfin la souveraineté alimentaire.

4. Le défi climatique :une opportunité à saisir

Les dérèglements climatiques actuels posent de multiples défis que le secteur agricole et alimentaire doit déjà relever. Si la mise en oeuvre de politiques pour lutter contre les dérèglements climatiques constitue un défi, c’est aussi une formidable opportunité de repenser l’ensemble de nos systèmes alimentaires, de les re-territorialiser et de les rendre plus équitables et plus justes. C’est aussi une urgence. En effet, le rapport du GIEC sur l’objectif de ne pas dépasser les 1,5°C de réchauffement a mis en exergue le poids de nos habitudes alimentaires et l’importance de transformer nos modes de vies pour tenir les objectifs fixés par l’Accord de Paris7. Les systèmes alimentaires représentent en effet près d’un tiers des émissions de GES8.
Mettre en oeuvre l’Accord de Paris en appuyant la transition agroécologique
Les gouvernements se sont engagés avec l’Accord de Paris à contenir l’élévation de la température moyenne de la planète sous les 2°C d’ici à la fin du siècle, et le plus près possible des 1,5°C. Les instruments de mise en oeuvre de cet objectif sont les contributions déterminées au niveau
national (CDN), dans lesquelles chaque État propose un scénario national de réduction des émissions, et éventuellement d’adaptation pour différents secteurs. La somme des CDN doit permettre de tenir les objectifs de l’Accord de Paris selon une approche. Une approche des systèmes alimentaires est indispensable au sein de ces CDN, qui doivent donc formuler les modalités de la transition des systèmes alimentaires nationaux, en soutenant notamment la petite agriculture paysanne et la transition agroécologique des systèmes agricoles, avec l’objectif de garantir la sécurité alimentaire des populations les plus pauvres et de préserver l’environnement pour les générations actuelles et futures. Les financements climat pour l’adaptation doivent également être accrus et orientés vers les paysan·ne·s : en 2016, ils représentaient moins de 20 % des financements climats totaux.

5. Transformer les indicateurs

Un élément clef de la construction des politiques publiques est le choix des indicateurs d’évaluation. En se concentrant sur le produit intérieur brut, l’indice de développement humain (IDH), ou, dans le secteur agricole, sur les volumes de production, on oriente nécessairement les politiques publiques sur des objectifs de productivité économique uniquement. Or ce qui répond à des objectifs de performance économique ne prend pas en compte la sécurité alimentaire, les droits fondamentaux, les impacts environnementaux et le bien-vivre des populations locales.
Par ailleurs, il y a un manque de données sur les agriculteur·rice·s produisant selon les principes agroécologiqueset sur le secteur de l’agriculture familiale en général qui introduit un biais dans la construction de politiques publiques.Les indicateurs d’évaluation doivent refléter une approche holistique des systèmes alimentaires, prenant en compte un ensemble de dimensions au niveau territorial, sans impact négatif sur les populations et l’environnement, et les politiques publiques poursuivies doivent viser spécifiquementune amélioration de ces indicateurs.

● du point de vue social, les indicateurs orientant les politiques publiques doivent prendre en compte les quatre dimensions de la sécurité alimentaire (disponibilité de la nourriture, accès physique et économique, qualité nutritionnelle et sanitaire, et régularité des trois dimensions précédentes), l’accès à la terre, l’eau, la formation et les services financiers, ainsi que la santé publique ;

● du point de vue environnemental, il devient crucial d’intégrer les indicateurs de durabilité : émissions de méthane, protoxyde d’azote et dioxyde de carbone induites par les pratiques, maintien et restauration de la fertilité des sols, pollution et consommation de l’eau, biodiversité, intégrité des écosystèmes, etc. ;

● du point de vue politique, le bon fonctionnement des systèmes alimentaires agroécologiques doit évaluer le pouvoir d’agir des populations, et notamment la participation des femmes aux décisions. Une bonne politique publique pour l’agroécologie doit soutenir les initiatives des paysan·ne·s et encourager leur émergence, sans prendre le leadership dans la mise en oeuvre de projets agroécologiques qui ne correspondraient pas aux réalités locales. Il s’agit donc d’encourager l’émergence d’initiatives des communautés en créant un environnement favorable ;

● enfin, du point de vue économique, ce sont des indicateurs quantitatifs et qualitatifs qui doivent évaluer l’impact des politiques publiques, prenant en compte tant la rentabilité, la productivité, que les emplois créés et le revenu des paysan·ne·s qui doit être décent.

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