29 octobre 2019
Nutrition et santé Santé TIC Afrique

3 questions à… Anne Roos-Weil, chef de projet santé à l’AFD

Actualité

Interview réalisée à l’occasion de la publication du  Guide pratique « Des repères pour mettre en œuvre des projets innovants en santé numérique », produit dans le cadre de la capitalisation des projets de la Facilité d’innovation sectorielle des ONG (Fisong) « Tic et Santé ».

Anne Roos-Weil est chef de projet santé à l’Agence française de développement (AFD), en charge de l’instruction et du suivi des projets financés par l’AFD dans le domaine de la santé publique, essentiellement en Afrique. Elle est également « référente  numérique » pour la division santé et protection sociale. Avant de rejoindre l’AFD en 2017, Anne a travaillé pendant 15 ans dans le domaine du développement durable, dont 8 à la direction de l’association Djantoli, une organisation pionnière dans le développement d’applications mobiles pour la prévention et le dépistage des maladies materno-infantiles, reconnue pour son modèle d’intervention innovant.

En 2014, un appel à projet Fisong intitulé « Les technologies de l’information et de la communication (TIC) au service de l’accès à la santé des mères et des enfants et de la planification familiale » a marqué un tournant dans la façon d’aborder les TIC à l’AFD… Pourquoi cette nouvelle orientation ?

Historiquement, l’AFD investissait le champ de la santé numérique essentiellement dans le cadre de projets hospitaliers, en Outre-mer ou dans les États étrangers. Il s’agissait de mettre en place des systèmes d’information hospitaliers pour améliorer le parcours du patient et sa prise en charge. En Martinique par exemple, l’AFD a financé la mise en place d’un système d’information clinique et d’une plateforme de services de télésanté réunissant 15 établissements sanitaires publics et privés.

Mais à partir de 2014, consciente des opportunités nouvelles qu’offrait notamment le développement de la téléphonie mobile sur le continent africain, l’AFD a choisi de soutenir l’innovation dans ce domaine en utilisant de nouveaux outils :  en finançant des innovations numériques en faveur de la santé materno-infantile à travers l’appel à projet Fisong que vous mentionnez, en nouant également un partenariat stratégique avec la Fondation Pierre Fabre qui lançait son Observatoire de la e-santé dans les pays du Sud pour repérer des innovations prometteuses dans ce domaine. L’AFD a aussi soutenu le développement de projets de santé numérique en primant de « jeunes pousses » dans le cadre de son concours annuel AFD Digital Challenge. Dernier lauréat en date dans le domaine de la santé, la start-up camerounaise AUI Techno, basée à Yaoundé, qui a développé une couveuse connectée pour lutter contre la mortalité néonatale. Enfin, à travers sa facilité « Social Business », l’AFD a également soutenu le développement de la start-up kenyane CarePay qui a développé un portefeuille santé électronique appelé « m-Tiba » qui permet notamment de souscrire à une assurance couvrant un important réseau de centres de santé accrédités et de payer ses soins avec son téléphone portable. Près de 3 millions de Kenyans sont aujourd’hui abonnés et bénéficient de soins de qualité dans un réseau de 2 700 structures de santé qui s’étend aujourd’hui également en Tanzanie et au Nigéria.

L’AFD vient de publier la capitalisation transversales des trois projets financés dans le cadre de cette Fisong (DataSanté au Mali porté par Santé Sud, Cellal e Kisal au Sénégal porté par l’Amref et MobiSan au Burkina Faso porté par le Gret). Quels sont les grands enseignements tirés de cette capitalisation ?

Ce travail de capitalisation a permis de définir, au-delà des spécificités de chaque projet, quels étaient les dénominateurs communs des trois projets de santé numérique, et d’en extraire des questions à se poser et des bonnes pratiques pour de futurs porteurs de projets. Il s’agit de conseils simples, concrets. Par exemple, sur le temps à prévoir pour la phase de conception des solutions numériques qui nécessite une forte co-construction avec les futurs utilisateurs pour prendre en compte leurs contraintes (dans l’utilisation, dans la maintenance) ; ou encore, sur les actions de formation qui doivent être bien adaptées aux utilisateurs, qui ont pour certains un faible niveau d’alphabétisme et pour d’autres peu l’habitude d’utiliser des écrans tactiles. Les retours des ONG ont également démontré l’importance de nouer des partenariats durables avec les entreprises technologiques, et de réussir à parler un même langage.

Une autre leçon que je retiens de ce travail concerne le temps nécessaire pour que des innovations de ce type soient conçues, expérimentées, adoptées, diffusées puis peut-être un jour réellement « institutionnalisées ». C’est un enjeu, car beaucoup de bailleurs investissent soit sur les phases très en amont de l’expérimentation, soit sur le déploiement à très grande échelle d’innovations ayant déjà largement fait leurs preuves. L’AFD n’échappe pas vraiment à cette règle…

Aujourd’hui, comment l’AFD envisage-t-elle de poursuivre son investissement dans le domaine des TIC et de la santé ?

Tout en poursuivant le soutien à l’émergence, à l’expérimentation et au développement de projets innovants, l’AFD a vocation à accompagner les États qui souhaitent développer de véritables stratégies nationales de santé numérique en capitalisant sur ces innovations. C’est ce qu’elle a fait en Tunisie, à travers le financement d’un programme de coopération technique qui a permis d’aider le ministère de la Santé à construire une feuille de route de projets stratégiques (numérisation des hôpitaux, projets de télémédecine), à mettre en place une gouvernance nationale adaptée et à agréger autour de lui un écosystème d’acteurs de la e-santé. Ce programme a mobilisé des partenaires français comme le CATEL, l’ASIP santé ou en encore l’ANAP. L’AFD travaille actuellement au Maroc pour accompagner les autorités à définir les priorités stratégiques et à préparer l’opérationnalisation de programmes de santé numériques à fort impact sur l’amélioration de l’accès aux soins et du parcours du patient.

L’AFD peut appuyer ces dynamiques, en mobilisant l’expertise des acteurs français notamment (agences publiques, ONG, entreprises), et accompagner les réflexions sur l’amélioration de l’efficience des systèmes numériques, leur interopérabilité, ou autour des enjeux d’identité numérique, de protection des données.

Les points d’application du numérique en santé sont infinis et les preuves sur le terrain des potentialités offertes par ces outils sont déjà significatives. L’enjeu est aujourd’hui d’accompagner une meilleure coordination des acteurs autour de stratégies claires et de renforcer les compétences nationales dans le pilotage de ces programmes. C’est ce que fera notamment l’AFD en soutenant en novembre prochain, à Cotonou au Bénin, l’organisation par l’Organisation mondiale de la santé  et l’Union internationale des télécommunications d’un séminaire de formation pour les hauts cadres des ministères de la Santé des pays d’Afrique francophone sur la santé digitale.

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