31 octobre 2019
Systèmes alimentaires Filières agricoles Sénégal

Vers une transformation durable des systèmes d’élevage au Sénégal

Actualité

Dans le nord du Sénégal, le Gret et ses partenaires appuient la structuration de la filière lait et s’efforcent d’améliorer les conditions d’existence des exploitations familiales d’élevage. Au fil des ans, le projet Asstel a permis l’émergence d’évolutions et de dynamiques prometteuses qui doivent désormais être pérennisées…

Le département de Dagana, au nord du Sénégal, est marqué par un système d’élevage extensif où la vente de lait permet de couvrir 25 % des besoins alimentaires, dans une zone où l’insécurité alimentaire touche 55 % des ménages. L’installation à Richard-Toll en 2006 de la Laiterie du Berger, une entreprise de transformation industrielle de lait, a donné un souffle nouveau au développement de la production laitière dans le département de Dagana, en offrant une véritable opportunité de débouché pour les exploitations familiales.

Jusque-là, les éleveurs, confrontés à des conditions climatiques difficiles (notamment une pluviométrie très variable et des difficultés d’abreuvement et d’alimentation du bétail), n’avaient souvent pas d’autre choix que de partir très tôt en transhumance vers le Ferlo et le Sine Saloum pendant les mois de saison sèche afin d’assurer la survie du bétail. Ce départ en transhumance entraînait une baisse, voire un arrêt de la production et de la vente du lait. A cela s’ajoutait le problème de rentabilité du lait, dont la commercialisation se faisait exclusivement sur les marchés locaux.

D’une approche filière à une approche territoriale et intégrée

La première phase du projet Asstel, mis en œuvre par le Gret et ses partenaires de 2012 à 2015, s’est focalisée sur le développement de la production laitière. Elle a pu répondre à plusieurs enjeux, et notamment la structuration des circuits de collecte, permettant ainsi d’assurer l’approvisionnement de la Laiterie du Berger, ainsi que l’augmentation et la régularité des revenus des familles d’éleveurs. Cette première phase marque également le démarrage du dialogue multi-acteurs et interprofessionnel à l’échelle du département.

Le bilan du projet, réalisé avec les communautés, a mis en évidence d’autres besoins, comme le renforcement des services fournis aux exploitations (aliments, fourrages et collecte), ainsi que l’appui aux activités économiques des femmes et des jeunes pour diversifier les sources de revenus.

En 2016 commença la seconde phase du projet, dont l’ambition était d’ancrer les changements initiés, au point d’observer à l’échelle du réseau « d’élevage pilotes » (EP) des évolutions dans les pratiques d’élevage et de production laitière. Cette étape a également permis d’enclencher de belles dynamiques socio-économiques autour de la diversification des activités, corrélées à la mise en place du dispositif d’animation villageoise relais et du programme d’alphabétisation.

Un bilan global satisfaisant à consolider

Des pratiques de production et des systèmes d’élevage qui évoluent

Malgré un contexte territorial assez difficile, l’expérimentation de modèles technico-économiques de production et d’élevage, via un dispositif de conseil à l’exploitation familiale, a montré que des évolutions dans les pratiques et les systèmes d’élevages sont réellement possibles. En effet, celles-ci se traduisent à l’échelle du réseau d’élevages pilotes par :

  • la constitution et la mise en stabulation d’un noyau laitier du troupeau, compris entre 4 et 14 vaches laitières ;
  • le stockage de fourrages et d’aliments concentrés de bétail ;
  • la maîtrise du rationnement de l’alimentation du troupeau laitier par les éleveurs, conjuguée à leur capacité à écrire (données de la pesée des aliments et du lait) ;
  • l’augmentation de la production laitière, surtout en saison sèche, qui passe de 1,5 litres à 3,5 litres par vache et par jour.

Cette augmentation de la production en saison sèche est devenue une tendance depuis 2018. En effet, face aux hivernages de plus en plus catastrophiques, les élevages pilotes planifient les besoins alimentaires du troupeau laitier : cela témoigne d’une certaine capacité d’anticipation. Ces évolutions de pratiques et de systèmes sont d’autant plus importantes que le prix du litre de lait fourni à la Laiterie du Berger devient de plus en plus rémunérateur. En février 2018, celle-ci a fait passer le prix de 225 à 320 FCFA par litre, à la suite de l’exonération par le gouvernement sénégalais de la TVA sur le lait pasteurisé.

Des dynamiques prometteuses de renforcement de la résilience des exploitations familiales

Afin d’apporter une réponse à la demande d’une meilleure prise en compte des femmes dans le projet, l’accent a été mis sur le développement d’actions susceptibles d’améliorer leur situation sociale et économique, notamment l’alphabétisation et la diversification d’activités économiques. Si les résultats et effets de l’alphabétisation ont pu être observés rapidement, ceux liés aux initiatives économiques n’ont pas pu être appréhendés de manière exhaustive avant la fin du projet. Les apprenant.e.s, majoritairement composés de femmes, parviennent à mieux gérer l’activité de production laitière ainsi que les autres activités économiques à travers la manipulation des outils de gestion traduits en pulaar. A cela s’ajoute une évolution notable de  la prise de parole des femmes en public lors des réunions ou des rencontres, mêmes lorsqu’elles sont mixtes. Quant aux initiatives économiques, les premiers résultats de suivi des marges brutes montrent :

  • des activités intéressantes, telles que la transformation du lait, la transformation des céréales et l’embouche ;
  • des activités peu rémunératrices : le petit commerce et la savonnerie ;
  • un fort intérêt pour le maraîchage, qui est une activité récente.

Par ailleurs le système d’associations villageoise d’épargne et de  crédit (AVEC) développé a été non seulement un moyen de financement des activités économiques des femmes, mais aussi un cadre de rencontres régulières pour échanger sur des sujets qui les intéressent, ce qui a permis de renforcer les liens sociaux.

Il est important de noter que toutes ces évolutions et dynamiques ont été soutenues en parallèle par la mise en place d’un dispositif d’animation villageoise relais, une innovation acquise qui permet d’impulser des dynamiques villageoises de développement.

Des espaces de concertation à renforcer

Afin de favoriser la concertation interprofessionnelle et territoriale, la Plateforme d’innovation lait (PIL) a été redynamisée. Une sous-commission sectorielle de l’élevage (SCSE) a également été mise en place à Dagana. Au travers de sa mission, qui consiste à « favoriser par les innovations, le développement durable des relations d’affaires entre acteurs de la chaîne de valeur lait-local pour son émergence dynamique et inclusive », le Gret s’est appuyé sur la PIL pour permettre aux éleveurs d’avoir accès aux services d’appui à la structuration de la filière laitière (aliments, fourrages et collecte). Néanmoins, il est nécessaire pour celle-ci de fonctionner de manière beaucoup plus inclusive, de se doter d’un dispositif d’animation régulière, et de développer des stratégies de mobilisation de fonds propres tout en garantissant en amont la satisfaction de ses membres. Quant à la SCSE, elle a pour mission d’être une tribune pour susciter les échanges, mûrir les réflexions et livrer des informations pour la formulation, la mise en œuvre et l’évaluation des politiques et stratégies d’intervention pour le développement durable du secteur de l’élevage. C’est la raison pour laquelle elle a porté, sous la coordination de l’Agence régionale de développement (ARD) et en collaboration avec le Conseil départemental de Dagana, le processus d’élaboration du Plan de développement départemental de l’élevage (PDDE). Cet espace de dialogue multi-acteurs présente également des enjeux de renforcement de l’animation et de recherche de moyens nécessaires à son fonctionnement.

Des résultats valorisés lors de la 3e édition du symposium international sur « le lait, vecteur de développement »

Cet événement organisé par l’ISRA (Sénégal), le Cirad (France) et l’INRA (France) à Dakar les 12 et 13 juin dernier a été l’occasion pour le Gret de présenter, sous forme de poster, les effets du dispositif de conseil à l’exploitation familiale (CEF) d’élevage laitier sur l’évolution des pratiques de production laitière, ainsi que le guide du collecteur de lait local, à la foire des innovations.

Au regard de tout cela, le grand défi réside aujourd’hui dans la poursuite des évolutions, changements et dynamiques, afin d’en assurer la pérennisation et la transformation sociale sur le long terme. C’est la raison pour laquelle la troisième phase d’Asstel, mise en œuvre à partir septembre 2019 pour une durée de 40 mois, se veut une phase de consolidation et de transfert de compétences aux acteurs locaux.

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